vendredi 12 novembre 2010

La publicité: arbitre du match hébergeurs c/ auteurs?

Hébergeur ou éditeur ? L'enjeu en termes de responsabilité, en matière de contrefaçon ou de concurrence, est toujours aussi capital. La jurisprudence et la réglementation, française et communautaire, ont maintenant établi les règles et dressé la frontière entre les deux. Le critère principal étant le rôle actif (ou non) joué par l'acteur dans la mise en ligne, la sélection et le contrôle du contenu contrefaisant. eBay avait ainsi été jugé "actif" et donc éditeur.

Nouvelle illustration en octobre 2010 de cette distinction entre simple prestataire technique et acteur actif et sélectif des contenus diffusés.

En bandeau, à côté, sur ou avant les contenus, la publicité est partout sur votre Internet! Mode de financement par excellence du web, elle est un enjeu majeur de développement et de ressources des acteurs du net.Elle occupe donc une place grandissante dans les considérations judiciaires et est notamment invoquée pour apprécier le montant de dommages-intérêts, mais aussi pour tenter de requalifier un hébergeur en éditeur.



C'est l'un des arguments qu'avait dégagé Roland Magdane pour assigner le site Dailymotion  pour diffusion des ses sketchs sans autorisation. Pour mettre en oeuvre la responsabilité du site de vidéos en ligne en tant qu'éditeur, l’humoriste avait essayé de démontrer que le fait de profiter de ressources publicitaires accompagnant la diffusion d’œuvres déterminées transformait l'hébergeur/prestataire technique en éditeur.

La Cour d’Appel de Paris a clairement refusé de considérer; dans un arrêt du 13 octobre 2010, que la rémunération par la publicité avait ici une incidence sur la qualification d'un acteur du net et sur sa responsabilité. 

Confirmant la position du Tribunal de Grande Instance, la Cour a considéré qu’il n’était démontré aucune relation entre le financement par la publicité et la capacité de contrôle effectif des contenus mis en ligne. Non seulement les oeuvres ne sont pas jugées contrefaites par Dailymotion, mais l’humoriste s’est vu condamné à lui verser la somme de 20.000 euros au titre des frais de justice. 

Il n’y aurait donc, aux yeux de la Cour, pas moyen de faire condamner un hébergeur de contenus qui se rémunèrerait en partie et indirectement par le biais de la publicité diffusée avec des contenus, contrefaisants ou non, mis en ligne par les internautes.

La Cour de Cassation l’avait pourtant admis, dans un arrêt du 14 janvier 2010 considérant que la proposition d’espaces publicitaires sur un site transformait son hébergeur en éditeur (voir notre billet du 19/01/2010), alimentant le débat sur la qualification des acteurs du net, soit éditeurs soit hébergeurs, pour le bénéfice du régime hyper-avantageux des hébergeurs, simples prestataires techniques. Débat aux enjeux judiciaires et pécuniaires de taille. 

La solution n’est pas évidente. La Cour de Justice de la Communauté Européenne dans ses arrêts du 23 Mars 2010 avait tenté de définir l’hébergeur comme celui dont « le comportement est purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des données qu’il stocke ». Elle ne tranchait cependant pas clairement, laissant le soin aux juridictions nationales de se prononcer sur la qualification finale. 

La Cour d’Appel de Paris s’est donc prononcé et a qualifié Dailymotion d’hébergeur. Pour elle, «l’exploitation du site par la commercialisation d’espaces publicitaires, dès lors qu’elle n’induit pas une capacité d’action du service sur les contenus mis en ligne, n’est pas de nature à justifier de la qualification d’éditeur ». 

Mais elle va plus loin en interprétant la loi pour la confiance dans l’économie numérique (dite "LCEN", et notamment l'article 6-I-2 définissant la qualité d'hébergeur) qui, selon elle, «prévoit expressément que le service hébergeur puisse être assuré même à titre gratuit auquel cas il est nécessairement financé par des recettes publicitaires et qu’elle n’édicte, en tout état de cause, aucune interdiction de principe à l’exploitation commerciale du service hébergeur au moyen de la publicité ».

En l'espèce, Dailymotion ne fournissait pas de service de téléchargement contrôlable, mais un simple service de stockage de vidéos provenant d'internautes, avec diffusion en temps réel (streaming), ce qui l'empêche d'avoir un contrôle direct. Autre critère de qualification, la publicité liée à telle ou telle vidéo n'était en rien "ciblée", c'est-à-dire en rien liée au contenu des vidéos stockées librement par les internautes. Enfin, Daily Motion ne pouvait pas non plus être tenue responsable, au sens des articles 6-I de la LCEN, d'avoir laissé en ligne certains des contenus dénoncés par l'humoriste après une mise en demeure initiale, dès lors que cette mise en demeure n'identifiait pas clairement ces contenus non retirés.

La Cour d’appel de Paris fait certes preuve de réalisme : ce type d'hébergeur ne fournit pas un espace de stockage pour les beaux yeux des internautes mais pour attirer de l’audience et vendre des espaces publicitaires a priori non ciblés.

Mais force est de constater que Dailymotion, parmi d'autres, profite gratuitement de l’audience de certains contenus protégés et réellement attractifs, sans en rétribuer les auteurs. Manque cependant la preuve de la corrélation directe entre telle publicité et audience/contenu de telle vidéo, qui n’était pas démontrée sur le site dédié dailymotion publicité

La Cour laisse donc ouverte la possibilité de démontrer un tel lien entre publicité et audience, voire un ciblage, mais la preuve semble difficile à rapporter.

La solution pourrait peut-être être trouvée dans les accords signés avec les sociétés de gestion de droits telles que la SACEM (cf notre billet du 01/10/2010). N’est-ce pas la démonstration qu’une rétribution des auteurs est possible par le biais de la publicité mais encore qu’un lien entre publicité et audience peut être fait? C'est d'ailleurs une des questions qui se pose pour la plupart des sites de "streaming".

Qu’en pensez-vous ?

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