samedi 13 novembre 2010

Saga HADOPI: Un camouflet d'outre-atlantique

Non contente de générer une inimitié croissante dans l’hexagone, la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI) a réussi à ajouter la Computer  Communications Industry Association (CCIA) à la liste déjà longue de ses détracteurs. 

Par un courrier en date du 29 octobre 2010, l’Association américaine s’est invitée à la consultation publique organisée par l’HADOPI au sujet des spécifications fonctionnelles des moyens de sécurisation de la connexion Internet, pour faire part de son inquiétude, voire de son indignation face à la "censure" pure et simple d'Internet qui pourrait en résulter.

Elle reconnaît bien entendu que la protection des artistes et entrepreneurs est louable: ceux-ci doivent évidemment pouvoir tirer profit de leurs créations ou innovations exploitées via le net. Mais tous les moyens ne sont pas bons pour éviter la contrefaçon : la CCIA dit vouloir ainsi privilégier non pas la répression mais l’éducation de l'usager. 

La CCIA met clairement en évidence, et sans nuances, les déficiences des spécifications fonctionnelles proposées par le professeur Michel Riguidel pour ces moyens de sécurisation, demandant instamment à l’HADOPI de reconsidérer urgemment son projet de labellisation. En voici succintement les raisons principales:
  • Une labellisation autoritaire sans option pour le consommateur 
En effet, selon l’Association, il n’appartient pas au gouvernement même de prescrire les caractéristiques des logiciels destinés à sécuriser les connexions internet des utilisateurs. L’installation de logiciels de sécurisation « sous la menace de sanctions pénales » n’est qu’une « apparence d’option qui n’est pas sans rappeler certains comportements gouvernementaux indésirables », et la CCIA de faire référence, sans grandes nuances, à l’exemple du gouvernement chinois qui, sous couvert de lutte contre la pornographie, a imposé sur tous les ordinateurs neufs un outil de censure.
  •  Les listes noires 
L’association condamne par ailleurs le principe de liste noire qui aboutirait à ce que des sites soient bloqués sur décision non pas de l’utilisateur ou de l’administrateur système mais d’un tiers. Cette situation porterait atteinte au « concept même de liberté sur internet. » 
«Comme les navigateurs, les systèmes d’exploitation et les photocopieurs, les logiciels peer-to-peer sont neutres. » La CCIA s’émeut de la conception du peer-to-peer qui est véhiculée par le projet : « toutes les utilisations de ce vecteur d’échange de contenus ne sont pas illégales » précise-t-elle en citant l’exemple de BitTorrent. Les comportements d’une minorité ne doivent pas préjudicier à l’ensemble des utilisateurs. 

Mais qui est la CCIA?

Organisation internationale dédiée à l’innovation et à la communication, la CCIA regroupe des grands groupes tels que Microsoft, Google, Yahoo, eBay, Facebook ou encore Oracle pour la promotion des marchés de l’informatique, des télécommunications, de l’Internet ainsi que de leur libre et juste concurrence. 

Pas tout à fait neutre, donc, elle a ainsi tout intérêt à militer pour que l’HADOPI revoie sa copie et éviter que ses membres ne puissent pas concourir en raison d'une exigence spécifications trop particulières.

Modérons donc d'abord les propos non désintéressés d'un intervenant américain au débat, pour plusieurs raisons:

  •  Ce combat est celui, classique, de deux visions traditionnellement très, trop éloignées du droit d'auteur : d'un côté, faire confiance (jusqu'à l'excès?) au marché pour réguler les pratiques ou, de l'autre, prendre les mesures règlementaires au risque d'être taxé de politiser un débat sur les libertés? Rien d'étonnant, donc, dans la réaction de l'Association.
  • La CCIA critique beaucoup, avec des comparaisons volontairement provocatrices, mais ne propose pas grand chose au final.
  • La consultation publique, qui n'était en réalité pas si "publique" que ça, n'en est qu'à un stade peu avancé et les propositions Riguidel ne sont qu'un premier pas dans le processus normatif à l'étude.

Mais les craintes et les recommandations de la CCIA ne sont pas illégitimes ou infondées : comment, en effet, imaginer qu’un organisme gouvernemental définisse la manière dont chaque usager peut utiliser internet ? A l'inverse, dans d'autres domaines où des moyens de sécurisation existent (les dispositifs anti-copie des CD/Dvd), ce sont des opérateurs privés qui ont imposé les protections anti-copie, au détriment du droit à la copie privée. Un juste milieu peut-il exister?

Vu les enjeux et les conséquences de telles mesures sur la liberté et les droits des internautes, il apparaît nécessaire que le processus de réflexion aboutisse, en regard de ces fondamentaux, à garantir la souplesse, l'indépendance et l'adéquation d'éventuelles "spécifications fonctionnelles" qui pourraient être décidées et du "tiers" appelé à règlementer cette question.

Ces critiques avaient été formulées depuis longtemps par les pourfendeurs du système HADOPI. L'autorité administrative prendra-t-elle en compte cette contribution de la CCIA et, plus généralement, les critiques qui lui sont faites? Nous le verrons dans un prochain épisode: HADOPI la Rédemption? 


Est-ce possible d'après vous?

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