samedi 24 octobre 2009

Est-ce toujour la faute des (sociétés) mères ?

L’intérêt pratique d’une société tient presque entièrement à une fiction juridique fertile : la notion de personnalité morale de la société, acquise dès son immatriculation.


Dès l’instant de son immatriculation, la société existe en tant que personne juridique individualisée. A l’identique des personnes physiques, cette individualisation se marque par un nom (la dénomination sociale), une nationalité et un domicile (le siège social). Tout comme une personne physique, elle dispose d’un patrimoine propre et d’une capacité d’action. Ainsi, la société, par l’immatriculation, se distingue de la personne des associés qui se sont groupés pour lui donner naissance.

De l’individualisation de la société découle une conséquence de première grandeur. Une conséquence si importante qu’elle justifie en tant que telle la création d’une société. De manière générale la société est seule responsable des préjudices qu’elle cause aux tiers, sans que la responsabilité de ses associés puisse être recherchée. Ainsi, la personnalité de la société s’interpose devant celle de ses associés.

C’est ce qui explique que la notion de groupe de sociétés revête un sens bien plus économique que juridique. A l’exception notable du droit du travail. En effet, le droit français des sociétés n’accorde pas la personnalité morale au groupe. Il n’existe au demeurant, en France, aucune réglementation d’ensemble des groupes de sociétés.

Ainsi, des sociétés appartenant économiquement à un même groupe demeurent des personnes morales juridiquement distinctes. D’après la Cour de cassation, il en va ainsi même entre une société mère et sa filiale contrôlée à 99 % en l’absence de relations financières anormales constitutives de confusion des patrimoines des deux sociétés (Cass. Com. 19 avril 2005, n° 866, Bull. 2005 IV N° 92 p. 95 : Arrêt METALEUROPE : http://bit.ly/3nyMBm ).

D’une manière générale, il n’est donc pas possible de faire peser sur une société-mère la responsabilité des obligations pesant sur sa filiale.

C’est d’ailleurs précisément la raison pour laquelle des filiales sont créées. Car les risques sont ainsi cantonnés à la filiale qui en a la charge.

En matière d’environnement, la Cour de cassation a appliqué strictement cette règle dans un arrêt du 26 mars 2008 (Cass. Com 26 mars 2008, n° 07-11.619 (n° 420FD) ADEME c/ Sté Elf Aquitaine ; http://bit.ly/1f5Ad5 ).

Les faits donnant lieu à cette décision concernaient une décharge de déchets. Celle-ci, exploitée par une société, avait été fermée par décision administrative en raison des gênes causées aux riverains. Tenue de réhabiliter le site mais privée des ressources provenant de l'exploitation de la décharge, la société avait procédé aux deux premières phases de réhabilitation avec le soutien financier de sa société mère, laquelle avait ensuite décidé de la liquider avant la réalisation de la dernière phase de réhabilitation. Ces travaux avaient été achevés par un établissement public qui avait alors demandé à la société mère de l'indemniser.

Cette demande a logiquement été écartée par la Cour de cassation au motif que la faute initiale, cause du dommage invoqué par l'Etat par le biais de l'établissement public, avait été commise par la filiale, la société mère n'étant intervenue que postérieurement pour en amoindrir les conséquences. Cette intervention n'a pas été considérée par les juges comme une immixtion fautive dans la gestion de la filiale. Il n'y avait par ailleurs aucun élément qui aurait pu justifier la condamnation de la mère : ni le caractère fictif de la filiale, ni l'apparence d'un engagement solidaire de la part de la société mère à l'égard des créanciers de sa filiale.



Mais la loi du 3 août 2009 (dite Grenelle II) porte un grand coup de canif à ce principe de séparation et d’indépendance des filiales par rapport à leur société mère.

En effet, selon la nouvelle rédaction de l'article L. 512-17 du code de l'environnement adoptée par la loi Grenelle II : « lorsque l'exploitant est une société filiale au sens de l'article L. 233-1 du code de commerce et qu'une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à son encontre, le liquidateur, le ministère public ou le préfet peut saisir le tribunal ayant ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire pour faire établir l'existence d'une faute commise par la société mère qui a contribué à une insuffisance d'actif de la filiale et pour lui demander, lorsqu'une telle faute est établie, de mettre à la charge de la société mère tout ou partie du financement des mesures de remise en état en fin d'activité ».

Le principe de la responsabilité des sociétés mères est donc nettement posé. En matière environnementale uniquement.

Mais, selon l’article précité, la mise en cause de la responsabilité des sociétés mères à raison de leurs filiales est sujette à deux limites importantes. Tout d’abord, elle ne joue qu’en cas de liquidation judiciaire. Ensuite, elle nécessite de rapporter la preuve d'une faute de gestion de la société mère.

Autre limite importante en ce qui concerne la portée de la responsabilité de la mère. Celle-ci ne pourra être condamnée qu’à financer, « tout ou partie du financement des mesures de remise en état en fin d'activité ».

On entend bien, a contrario, que la société mère ne pourra pas être condamnée à prendre en charge l’ensemble des dommages causés à l’environnement.

Il se pourrait donc que, derrière cette extension de responsabilité, cette modification législative serve en réalité de protection contre des mises en causes plus importantes. Un bouclier environnemental, en somme.

Etait-il bien nécessaire d’attenter à l’un un des principes fondateurs du droit des sociétés et, partant, de l’économie, pour en arriver à ça ?

Et vous, pensez vous que ce soit toujours la faute des (sociétés) mères ?

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